Wednesday, June 08, 2005

De la race des aigles

Je vous invite à lire un article écrit par un des étudiants de M. Samir Kassir. Ce qui est écrit ci bas exprime dans une grande partie tout ce que j’aurai voulu écrire en homage à mon cher professeur. J’espère que ça vous donnera une idée sur qui était Samir Kassir.


De la race des aigles

Samir Kassir n’aimait pas les hommages. Il n’aurait pas apprécié celui-là. Ayant été son étudiant, je sais qu’il m’aurait conseillé d’oublier ma copie et d’aller lire le journal ou un ouvrage intéressant au lieu d’écrire ces lignes.

Derrière ses airs de « mauvais garçon », derrière son ironie cinglante, derrière le hérisson qui piquait parfois, il y avait l’homme, attachant. Je me souviens qu’un soir, lui ayant dit par hasard que j’allais chanter, dans les rues d’Achrafieh, Leonard Cohen, à l’occasion d’un événement culturel organisé par l’université, il était venu s’asseoir parmi les auditeurs, avec sa compagne, pour m’écouter. J’avais pris ma guitare, sans aucune assurance, pour chanter Lover, Lover, Lover du chanteur canadien, vantant la nécessité d’une paix israélo-arabe. La prestation était moyenne, le son franchement mauvais. Néanmoins, il était venu et il était resté jusqu’à la fin. Je devais plus d’une fois, ultérieurement, être comblé par les preuves de son affection.

Il y avait aussi le professeur, toujours soucieux du devenir, surtout intellectuel, de ses élèves. Il avait un mépris total du politiquement correct sous toutes ses formes, et cela se manifestait d’abord dans son attitude d’enseignant.

Ceux qui ont tué Samir Kassir ont visé juste. Ils ne pouvaient mieux réussir leur coup. Samir Kassir appartenait avant tout à la société civile. Et c’est en intellectuel engagé, toujours critique, qu’il s’engageait dans le politique. La place qu’on l’a forcé à quitter est impossible à combler. Samir Kassir est un jeune arbre qu’on déracine à la saison où il donne le plus de fruits, et qui ne repoussera plus jamais. La perte est énorme. Sa réflexion, sa pensée étaient un trésor inépuisable pour ceux qui y étaient initiés ; une réserve de courage et de liberté pour ceux qui avaient la curiosité, la soif de savoir. Il aura eu le destin du penseur oriental, qui n’a pas le droit de vivre pour ses idées, qu’on abat pour sa pensée, et qui n’a le droit d’être apprécié que dans la mort. Et encore : ce n’est qu’une (trop) infime minorité qui a fait avec lui, samedi, une partie de son dernier voyage. L’éternelle et incompréhensible apathie d’un peuple quand un intellectuel sans autre empire que celui – pourtant si grandiose, mais si peu reconnu – de l’infinie liberté de pensée est lâchement abattu, dans la solitude.

Samir Kassir était libre, il l’a été jusqu’au bout. Brider aujourd’hui cette liberté, la dévoyer au profit de luttes politiciennes, c’est descendre sous le seuil élémentaire de l’éthique politique. C’est assassiner une nouvelle fois l’intellectuel intègre, qui refusait la pensée statique, dont la vie a été un long combat contre la pensée unique et figée, sous toutes ses formes. Contre la récupération et contre la dictature.

Samir Kassir était de la race des aigles. Dieu, qu’il aurait détesté les charognards.



Michel HAJJI GEORGIOU

1 Comments:

Blogger Maldoror said...

Hi there,
You have been linked to my blog. :))

2:43 PM  

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